Successions et donations

Dossier « Patrimoine et transmission – Successions et donations » publié dans le nouvel Economiste Par Lilia Tlemçani le 04/10/2012, avec l’intervention de Maître Cédric Cabanes – avocat spécialisé en droit des successions et héritages à Aix en Provence.


La réforme encourage les transmissions précoces

patrimoine transmission - successions et dotationsLes réformes successives de la transmission du patrimoine privé visent certes à combler les dettes de l’État, mais aussi à suivre l’évolution démographique. En pratique, l’effet est à nuancer, car la réforme ne concerne qu’une minorité de particuliers. Le changement le plus impactant est l’allongement du délai de purge entre deux donations, appliqué de manière rétroactive. Une manière d’inciter les particuliers à transmettre très tôt leur patrimoine à leurs proches, afin de favoriser leurs projets de vie : transmissions précoces et démembrements vont se faire plus courants. Mais au-delà de la fiscalité, la transmission de patrimoine reste une affaire de timing et de stratégie individuelle, au cas par cas.

Les lois de finances se succèdent, et réforment le paysage de la transmission de patrimoine ; tantôt revenant sur les acquis concédés, tantôt alourdissant simplement la fiscalité. “On fait trois pas en avant, deux pas en arrière. Les gens sont perdus, et ont l’impression d’évoluer dans un environnement instable et incertain” s’indigne Pascal Renoncet, consultant en gestion patrimoniale au sein du cabinet Thésaurus. En effet, en 2007, respectant une de ses promesses de campagne, Nicolas Sarkozy instaurait notamment, à travers la loi Tepa (loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat), un triplement de l’abattement en ligne directe – c’est-à-dire parent/enfant – pour la succession, et ouvrait la possibilité de bénéficier d’abattements renouvelables tous les 6 ans, en cas de donations.

Mais, devant faire face au déficit budgétaire, le gouvernement Fillon est revenu dès 2011 sur sa générosité et a porté à 10 ans ce délai de rappel fiscal – délai nécessaire au renouvellement du droit à l’abattement. En 2012, c’est au tour de François Hollande de durcir davantage la fiscalité. C’est ainsi que la seconde loi de finances rectificative pour 2012 a, entre autres, réduit le montant des abattements et rallongé le délai de purge fiscale.

Cette rigueur fiscale semble être une réponse face à la situation économique – crise de la dette, objectifs de réduction du déficit public –, mais elle n’est pas non plus incohérente avec les évolutions démographiques : “On peut interpréter l’allongement de la durée du rappel fiscal de deux façons : d’une part, on peut se dire que c’est corrélé à l’allongement de la durée de vie. Tout comme on peut se dire que l’État a besoin d’argent, et que la taxation des successions est une des sources possibles de financement” explique Cédric Cabanes, avocat et membre du réseau Gesica, réseau international d’avocats. Car au-delà des ambitions idéologiques de François Hollande, les réformes des successions et donations s’inscrivent dans le cadre d’un durcissement plus général de la fiscalité, en France mais aussi en Europe. Même la Suisse, offrant jusqu’à présent un doux asile fiscal à nombre de Français fortunés, songe à alourdir sa fiscalité.

“Dans ce contexte, il est délicat de monter des stratégies de transmissions complexes et efficaces, car on sait que ce qui fonctionne aujourd’hui ne fonctionnera pas forcément demain. C’est vraiment à s’y perdre, même pour les professionnels, alors je comprends la panique des particuliers” insiste Pascal Renoncet. Ce vent de panique avait d’ailleurs commencé à souffler avant même le vote de la loi, avec une précipitation massive des Français chez leur notaire, afin d’accélérer leurs donations avant le durcissement des règles fiscales : “Mes partenaires notaires ont enregistré un grand engouement pour les opérations de donations pendant les semaines précédant la réforme”, ajoute le consultant en gestion. Mais cette inquiétude est-elle justifiée ? Comment la transmission du patrimoine est-elle impactée en pratique, et quelles stratégies mettre en œuvre pour s’adapter à ces changements ?


Des avantages fiscaux à la baisse

Le principal changement introduit par les nouvelles règles fiscales est l’abaissement à 100 000 euros du montant de l’abattement personnel applicable aux donations et successions en ligne directe, et l’allongement du délai de purge fiscale, porté à 15 ans. Concrètement, avant cette réforme, chaque parent avait le droit de donner jusqu’à 159 325 euros en franchise d’impôt à chacun de ses enfants, tous les 10 ans. Aujourd’hui, ils ne peuvent plus donner en franchise d’impôt que 100 000 euros tous les 15 ans. Par exemple, un couple ayant deux enfants peut donc aujourd’hui effectuer des donations exonérées d’impôt à hauteur de 400 000 euros tous les 15 ans. Au-delà de ce montant, les donations seront soumises à l’impôt.

“Imaginons que ce couple ait un patrimoine de 1 million d’euros, il verra ses droits de succession passer à 36 000 euros, contre 12 000 avant la réforme”, illustre Pascal Renoncet. Le montant des donations hors ligne directe, lui, ne change pas, seul le délai de rappel fiscal est allongé à 15 ans, comme pour les donations en ligne directe. “Les grands-parents peuvent toujours effectuer 31 865 euros de dons en franchise d’impôt. Si l’on y ajoute les 31 865 euros de don d’argent autorisés, cela fait le double par grand-parent et par petit-enfant, à condition bien sûr que le donateur ait moins de 80 ans”, explique Cédric Cabanes. De même, on peut toujours donner, en franchise d’impôt, 15 932 euros à ses frères et sœurs, 7 967 euros à ses neveux et nièces, et 5 310 euros à ses arrière-petits-enfants.

L’indexation de l’abattement sur l’inflation, qui était effective jusqu’alors, a en revanche été supprimée : le montant de l’abattement ne suivra donc plus l’évolution des prix. Il en est de même pour le système de lissage qui avait été mis en place en 2011. À l’occasion du passage de 6 à 10 ans du délai de rapport fiscal, le législateur avait instauré un système permettant aux contribuables qui avaient réalisé une donation entre 6 et 10 ans avant la réforme de bénéficier d’un abattement progressif, en fonction de la date de donation, afin qu’ils ne se trouvent pas pénalisés. “Mais dès le 17 août 2012, soit à peine un an après, cette mesure a été abandonnée, ce qui est symptomatique de l’instabilité de l’environnement fiscal dans lequel on se trouve” explique Pascal Renoncet.


Transmissions plus précoces

Mais finalement, l’impact de cette mesure est tout de même à nuancer, du moins en ce qui concerne le plafond d’exonération des successions : “le patrimoine moyen des Français ramené au nombre d’enfants est largement inférieur à 100 000 euros de toute façon. Pour une grande partie des Français, le passage de 159 625 à 100 000 euros d’abattement n’aura donc aucune incidence. Et pour ceux dont le patrimoine se compte en millions, l’enjeu ne se joue pas à 50 000 euros d’abattement près”, rappelle Christophe Lenne, consultant au sein du groupe d’études et de conseil en gestion de patrimoine ICF. Selon les données du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de 2006, l’héritage moyen perçu par les Français était de 32 900 euros, très loin du montant maximum d’abattement. De plus, malgré la réforme, Christian Eckert, rapporteur PS de la loi, estime que 87 à 90 % des successions seraient encore exonérées après la réforme (contre 95 % avec les règles de la loi Tepa, et 78 % avant 2007).

D’autre part, “la donation peut, certes, s’insérer dans une stratégie ayant pour but de bénéficier d’abattements successifs et ainsi diminuer la fiscalité à la succession. Mais cela peut également simplement être un moyen d’aider ses enfants à s’installer de son vivant, rappelle Christophe Lenne. C’est notamment le cas pour ceux disposant d’un patrimoine modeste”.

En revanche, pour ceux disposant d’un patrimoine conséquent et souhaitant éviter des prélèvements importants, c’est l’allongement du délai de purge entre deux donations qui peut avoir l’impact le plus important, et c’est d’ailleurs ce qui inquiétait le plus les contribuables qui s’étaient précipités chez leur notaire pour hâter leur succession avant la réforme. “C’est une mesure dure, même si elle résulte de l’œuvre de deux gouvernements différents. Le délai est d’abord passé de 6 à 10 ans, puis encore à 15 ans, commente Cédric Cabanes, avant d’alerter : Un point que l’on oublie souvent est que le décès du donateur avant l’écoulement des 15 ans entraîne la refiscalisation de la donation.”

Il devient donc nécessaire de faire ses donations de plus en plus tôt et intégrer le paramètre de l’âge dans sa stratégie patrimoniale : “Quelqu’un qui reçoit 100 000 euros de parents très âgés a de très grandes chances de voir la somme refiscalisée lors de la succession, puisque le décès du parent entraîne la refiscalisation”, ajoute Cédric Cabanes. Une façon d’inciter à une redistribution intergénérationnelle plus précoce, à une époque où l’espérance de vie s’allonge tandis que la majorité économique s’atteint de plus en plus tard. Par ailleurs, cette mesure est rétroactive. C’est-à-dire qu’une personne qui aurait effectué une donation en 2011, pensant qu’elle ne serait soumise qu’à 10 ans de délai de rappel fiscal, ne pourrait pas effectuer une nouvelle donation, comme prévu en 2021, mais devrait attendre jusqu’en 2026. Et “La rétroactivité pose un vrai problème, car cela vient bouleverser en cours de route les stratégies que les particuliers avaient établies” commente Cédric Cabanes.