Successions et donations

Dossier « Patrimoine et transmission – Successions et donations » publié dans le nouvel Economiste Par Lilia Tlemçani le 04/10/2012, avec l’intervention de Maître Cédric Cabanes – avocat spécialisé en droit des successions et héritages à Aix en Provence.


Petit vade-mecum autour d’une notion qui n’existe pas: la « captation d’héritage ».   Mise à jour récente !

La vulgarisation sur internet n’a pas que du bon, loin s’en faut…

On y trouve toutes sortes d’amalgames qui, à force d’être reproduits et exploités, conduisent même les juristes à raisonner sur des thèmes parfaitement absents de la sphère juridique.

Ainsi fleurissent « Le délit de captation d’héritage » et autres raisonnements fumeux distinguant selon que l’auteur de la captation serait héritier (dans lequel cas il commettrait un recel successoral) ou tiers à la succession, commettant alors une « captation d’héritage, détournement d’ailleurs de nature civile ».

Les justiciables s’y trompent, sourcil froncé et soupçonneux lorsque leur avocat le leur indique, les avocats aussi peuvent quelquefois s’y égarer et conclure en ce sens.

La captation d’héritage, en droit, ça n’existe pas.

S’il fallait l’inventer ce pourrait être le contenu d’une petite bourse en cuir, fourre-tout  magique porté par l’avocat autour du cou et duquel il sortirait, sous incantations rauques, quelques poudres utiles à la guérison des plaies successorales…

La captation elle-même (du verbe capere – saisir, prendre, contenir) n’induit pas forcément une préhension frauduleuse. En matière de succession il pourrait donc s’agir de « prendre ses droits », c’est à dire d’hériter, tout simplement…

Procédons donc par la négative puisque, positivement, cette notion ne peut être définie faute d’existence.

La captation d’héritage ce n’est pas :

  • Le recel de succession :

Délit civil défini et réprimé aux dispositions de l’article 778 il s’agit, pour l’héritier seul, de dissimuler un bien, un droit, ou l’existence d’un cohéritier, volontairement et dans le but de rompre l’égalité du partage. Le receleur doit ramener le bien à la masse successorale et ne pas en prendre sa part, lors du partage.

  • L’abus de faiblesse :

Délit pénal prévu et réprimé aux dispositions de l’article 223-15-2 du Code pénal, il vise des faits qui ne sont en rien spécifiques à la matière des successions, aux personnes âgées, ou à la sphère patrimoniale.

Il s’agit de profiter de la particulière vulnérabilité d’une personne afin de la conduire à faire -ou s’abstenir de faire – des actes qui lui sont particulièrement préjudiciables.

  • Le vol :

Délit pénal large consistant à soustraire frauduleusement la chose d’autrui, la jurisprudence considère curieusement qu’il peut être commis et sanctionné entre héritiers et après le décès, malgré l’indivision ou le démembrement qui les lie, réduisant de ce fait l’exigence que la chose soit « celle d’autrui » car elle est aussi celle de l’auteur du vol (Cass. crim 12/05/2015 13-87.668)…

  • Le bénéfice d’une assurance vie :

Par principe hors succession, l’assurance vie et les primes qui y ont été versées ne peuvent réintégrer la masse successorale que sous certaines conditions strictes et dans des hypothèses très différentes (insanité mentale de l’assuré lorsqu’il modifie la clause bénéficiaire mais sous les conditions restrictives de l’article 414-2 du Code civil, absence d’aléa lorsqu’il verse des primes importantes et exagérées sur L 132-13 du Code des assurances…)

  • Le don manuel et le cadeau d’usage :

Le don manuel est une donation, non spécifique à la sphère familiale, entre personnes vivantes, de tout ce qui n’est pas un immeuble. Il doit être déclaré, fiscalisé, il est rapportable et réductible en cas d’atteinte à la réserve, au contraire du présent d’usage qui en est la variante modeste et consentie à titre exceptionnel, sans autre conséquence au sens de l’article 852 du Code civil.

  • Le testament, la donation, l’assurance vie au regard de l’insanité mentale du gratifiant :

Les deux premiers modes de transmission, que le gratifié soit héritier ou non, s’attaquent conformément aux dispositions de l’article 901 du Code civil, l’insanité d’esprit et les vices du consentement étant à charge de démonstration par celui qui poursuit l’annulation de l’acte. Le troisième subit les restrictions de l’article 414-2 du code, nécessitant de démontrer que l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental, pour le majeur capable…

Vulgarisons, mais autrement.

Aucune juridiction n’a jamais condamné qui que ce soit pour captation d’héritage…

                                                                     Cédric CABANES

6/09/2019


Bulletin d’Aix en Provence

Être plus Avocat qu’Anthropologue ?

En matière de successions, la chose n’est pas certaine et les praticiens seuls savent la qualité essentielle qu’il faut posséder pour intervenir utilement dans ce domaine, comme d’ailleurs en matière pénale.

Il faut aimer les gens, suffisamment en tout cas pour recevoir d’un œil sympathique et au sein du tombeau scellé du cabinet, le déversement des plaintes et récriminations, la relation des secrets familiaux, des haines adolescentes, les larmes et la rage, le besoin de vengeance et le sentiment de l’humiliation.

Pour le justiciable, succéder est une épreuve plus qu’un aboutissement.

I / L’héritier:

Il ne le sait pas encore mais il est porteur d’un syndrome universel, sorte de « régression mentale temporaire » qui affecte, sans aucune distinction sociale ni culturelle, celui qui succède à la génération dont il est issu, se rapprochant un peu plus de sa propre fin.

C’est le temps du bilan, des comptes, du retour en arrière et de la contemplation, inconsciente et subite, du chemin parcouru.

Et tout s’emmêle, souvenirs déformés par l’écoulement du temps, hypertrophie des épreuves endurées, diabolisation des « concurrents en amour » que sont les frères et sœurs, contemplation de ses propres douleurs et réification de l’affection parentale, que l’on aurait voulu exclusive et dont on croit avoir été dépossédé.

Voilà que l’héritier regarde d’un autre œil les meubles du défunt. Leur possession est un enjeu. C’est enfin pouvoir mettre « l’amour en bouteille ». Le mort s’est incarné, dans un manteau, dans un bijou. Le posséder est devenu un devoir, plutôt qu’un droit. C’était même, se souvient-il, « la volonté du défunt ».

Cupidité, goût du lucre ? C’est rarement le cas, malgré les apparences, et l’homme apparaît ici plus affecté qu’intéressé.

II / La Justice:

Mais en justice, il faut parler d’argent. Tout se résout ainsi, la douleur et le don ont un prix.

Profit subsistant, avancement d’hoirie, indemnité d’occupation et salaire différé, recel, le décor est planté : c’est ainsi que bien souvent le justiciable d’âge mûr règle des comptes d’enfance, envahi d’émotions et pressé de ne les exprimer qu’en termes financiers.

Et le droit dans tout ça ?

Il est visionnaire, prescient, c’est le « beau Droit Civil ».

Comment comprendre autrement la nécessaire relation des « diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable » pour saisir le juge du fond, à peine de nullité ?

C’est exiger, pudiquement, que chacun sonde ses abîmes avant de fouler le terrain judiciaire.

Que dire de la révocation du testament pour ingratitude, de la théorie des intervalles lucides, du recel d’héritiers et des notions mêmes de « réserve » et de « quotité disponible » sinon que de constater qu’en cette matière plus qu’ailleurs, a été acté le besoin hystérique de voir rendre une justice ?

La matière est riche bien plus qu’aride, laissant la place libre à l’arme formidable que possède l’avocat : l’imagination dans la conduite de la guerre.

III / L’Avocat:

Car c’est bien une guerre qu’il s’agit de mener, lorsque l’avocat/conseil a écouté, expurgé le dossier des faux combats, erreurs d’interprétations, futilités, prescriptions et fins de non-recevoir. Lorsqu’il a expliqué à son client dans quelle construction mentale il se trouve plongé, lorsqu’il lui a suggéré de faire les concessions nécessaires, lorsqu’il l’a invité à la souplesse.

Mais il est quelquefois des obstacles irréductibles, des adversaires incontournables:

Jeune « veuve noire » spécialisée es assurances-vie, puîné demeuré si longtemps au nid qu’il s’en est cru propriétaire, gentil voisin-acquéreur en viager, gestionnaire de patrimoine devenu « comme mon fils« , le pillage est consommé.

Il reste l’avocat/procès. C’est souvent le même.

Face à lui, deux mondes qui ne communiquent pas habituellement entre eux:

IV / Le Juge et le Notaire:

Le premier ne connaît du stade amiable que ce que l’article 1360 CPC lui prescrit de contrôler. Il s’en plaint d’ailleurs et pour deux raisons respectables :

– il n’est pas toujours mis en mesure d’appréhender l’intégralité des conséquences de ce qu’on lui demande ponctuellement de juger;

– il ne comprend pas pourquoi, alors qu’il a nommé la Chambre départementale ou un notaire directement, aux fins de procéder aux opérations de compte liquidation et partage judiciaire de la succession, il peut demeurer sans nouvelles de cette désignation tandis que le dossier encombre le juge commis sans limitation de temps, et nuit aux exigences statistiques de rendement qu’impose la chancellerie aux juridictions judiciaires.

Le second ne connaît rien au monde du contentieux. Il n’intervient qu’en amont, ou après. Il n’a aucun pouvoir coercitif, ni au stade amiable ni en qualité de notaire judiciairement commis. La Loi lui a concédé le privilège exclusif de dresser les ventes immobilières, en même temps que la charge de régler les successions. Pour nombre d’entre eux, c’est une punition.

Il se plaint pour sa part, et en technicien de la liquidation, de ce que certains jugements sont inapplicables pour avoir méconnu quelques principes essentiels, d’autres jugements conduisant à paralyser l’avancée des opérations puisque, si rien n’est tranché, le notaire liquidateur se voit placé exactement dans la même situation que le notaire amiablement saisi, la même difficulté conduisant au même blocage…

Invité au dialogue nécessairement initié par les magistrats à l’endroit des notaires, l’avocat s’est, lui aussi, plaint aux deux premiers.

Car, contrairement à d’autres matières, la force d’inertie propre aux conflits successoraux est absolument considérable.

Les raisons sont multiples et la première tient à la particularité de la procédure, le juge ne réglant pas la succession mais le notaire, lorsque les difficultés ont été tranchées par la juridiction.

V / La Procédure:

Encore faut-il s’interroger sur la perception, par chacun, de son propre rôle.

Ainsi, le juge peut-il considérer qu’il n’a pas à trancher les difficultés qui lui sont présentées au stade de l’assignation en ouverture judiciaire des opérations.

Car le Code de procédure civile ne lui donnerait pas tort, qui prévoit formellement l’arbitrage du juge sur retour du procès-verbal de dires soit le « procès-verbal de difficultés » éventuellement accompagné du projet d’État liquidatif.

Et l’établissement de ce procès-verbal de dire n’est prévu qu’au stade de la désignation du notaire judiciairement commis, et non au stade amiable…

Ce qui signifie que la « version longue » que pourrait impliquer, à première vue, l’articulation des articles 1360 à 1381 CPC conduirait au nécessaire respect du calendrier suivant, pour faire trancher une difficulté suite à l’échec du règlement amiable d’une succession:

1 – Assignation au fond en ouverture judiciaire des opérations de compte liquidation et partage de la succession ;

2 Jugement ordonnant l’ouverture et la désignation du notaire sur accord des parties, ou de la chambre départementale compétente pour qu’elle désigne l’un de ses membres ;

3 – Nécessaire obtention d’un certificat de non appel pour que la Chambre départementale des notaires désigne l’un de ses membres, le Jugement étant évidemment appelable ;

4 – Après désignation du notaire, ce dernier convoque les parties, une première fois pour recueillir les informations et identités de chacun, une seconde fois pour tenter de résoudre les difficultés qui les opposent, une troisième fois pour dresser, en cas d’échec, le procès-verbal de difficulté et, éventuellement, un projet de partage;

5 – Nouvelle saisine du juge du fond, prévue par transmission du notaire au tribunal ;

6Nouvelle procédure au fond à l’occasion de laquelle, pour la première fois, la difficulté est utilement soumise au tribunal pour la voir trancher;

7Second jugement, réglant la difficulté et renvoi au même notaire judiciairement commis, pour en appliquer les termes, mais seconde possibilité d’appel ;

8Établissement d’un projet de partage par le notaire appliquant les termes du jugement et convocation des parties pour signer l’acte ;

9 – L’un des héritiers, déconfit, décide de ne pas s’y rendre et le notaire dresse un procès-verbal de carence ;

10 – L’héritier qui mène la procédure, s’il n’est pas lui-même épuisé par sa propre action, saisit à nouveau le juge du fond pour faire homologuer l’État liquidatif et le voir produire les effets d’un partage ;

11 – Un troisième jugement intervient, encore appelable

12Le notaire judiciairement commis dresse les actes qui en découlent éventuellement.

Rajoutons à ce qui précède l’intervention d’une expertise immobilière ou comptable, voire une licitation, et on imagine sans peine le nombre d’années qui se sont écoulées, depuis l’introduction d’instance, pour pouvoir passer outre la résistance d’un héritier guidé par l’animus necandi, ou persuadé de son bon droit malgré le désaveu judiciaire.

Fort heureusement, la nature a ses règles et le portefeuille aussi. Les praticiens constatent que dans la majorité des dossiers, le fait de voir trancher les difficultés majeures par la juridiction permet au notaire judiciairement commis d’obtenir la signature des parties à l’acte de partage.

Et c’est bien le nœud du problème qu’il s’agissait de résoudre pour faire avancer ces dossiers particuliers et « réduire le stock »: déterminer conjointement à quel stade judiciaire précis les difficultés doivent être réglées, sachant que le plus tôt est souvent le mieux…

VI / Le silence du Code:

Si le Code de procédure organise la « version longue » ou procédure complexe, il n’interdit pas de faire « mieux et plus court ».

Le moyen est de faire trancher par la Juridiction, dès le stade de l’assignation en ouverture judiciaire des opérations, le maximum des difficultés qui peuvent l’être à ce stade.

La chose implique une rigueur particulière de l’avocat et du juge pour permettre au notaire d’officier efficacement.

L’Avocat tout d’abord, puisqu’il initie la procédure :

– Il doit être suffisamment formé en la matière pour savoir ce qu’il cherche à éviter. Si c’est du temps qu’il veut gagner, pourquoi saisir le juge du fond d’une demande d’ouverture avec expertise judiciaire quand il peut l’obtenir en référé et préalablement à l’introduction de l’assignation en ouverture à l’occasion de laquelle, son expertise en main, il fera fixer les valeurs et même chiffrer les créances, voire démontrer que les biens sont aisément partageables en nature ou que, justement, ils ne le sont pas ?

– Pourquoi saisir le juge d’une demande ponctuelle en fixation d’indemnité d’occupation quand la créance qu’il recherche est nécessairement inscrite dans une demande en partage judiciaire successoral, dont il ne réclame pas l’ouverture ? L’adversaire avisé en tirera argument.

Il est un fait que si l’on cherche à faire trancher des difficultés en temps utiles, la lame doit être fourbie avant même que l’assignation au fond ne soit délivrée.

Sauf à choisir, volontairement et en pleine connaissance de cause, de saisir son juge d’une ouverture judiciaire « sèche » des opérations par ce qu’on sait que la simple réunion physique des parties en l’étude du notaire judiciairement commis suffira à voir les difficultés s’aplanir d’elles-mêmes.

Le Juge ensuite :

– Il doit, lui aussi, savoir ce qu’il recherche. Si le temps passé à la rédaction du jugement prime sur l’intérêt qu’il a de voir aboutir définitivement la procédure, une lecture formelle du Code lui permettra, après avoir vérifié que les prescriptions de 1360 CPC sont remplies, d’ordonner l’ouverture judiciaire des opérations et le renvoi au notaire « sans même qu’il y ait lieu d’examiner les autres demandes des parties ».

Mais c’est aussi donner rendez-vous aux parties, dans 10 ans.

Fort heureusement cette lecture, déjà très minoritaire en première instance, tend à se réduire encore sous l’égide de la Cour d’Appel qui, de jurisprudence constante, tranche les difficultés dès qu’elles sont en l’état de l’être.

Le Notaire enfin :

Vecteur essentiel de la matière, technicien du partage, il hérite de la qualité du travail des deux premiers. Son étude peut être à la fois le lieu où les accords se font et celui où les jugements s’exercent. Ce qui nécessite une disponibilité accrue et une réactivité de premier ordre.

VII / La Charte:

Elle est le résultat remarquable des échanges poussés entre les praticiens de la matière et du recours, indispensable, à un rédacteur averti.

Car pratiquer n’est pas rédiger, et nous en étions bien incapables.

– Concentration des prétentions et des moyens permettant de choisir, plutôt que subir, le temps de l’arbitrage judiciaire;

Suspension de l’instance pendant les opérations instaurant, dans la phase liquidative pure, une impossibilité de faire trancher un point isolé du litige, facteur de dispersion et de retard dans l’aboutissement d’un raisonnement global et exhaustif;

Prévention et résorption du contentieux intégrant une vision mature du sens de la licitation judiciaire, traumatisante lorsqu’elle est ordonnée en « préalable » à toute démonstration de son caractère inéluctable.

La Charte est très ambitieuse. Elle entraînera nécessairement un changement notable dans les habitudes des praticiens qui cherchent à s’y engager.

Encore faut-il que les trois acteurs de la « Planète Successions » aient la volonté d’en faire autre chose qu’un guide des bonnes pratiques.

L’avenir le dira.

Cédric CABANES

Avocat

Retrouver cet article dans le bulletin d’Aix page 57 DOSSIER SPECIAL Bull. d’Aix 2014-II. – Charte liquidative 29.04.2014__DF