Successions et donations

Dossier « Patrimoine et transmission – Successions et donations » publié dans le nouvel Economiste Par Lilia Tlemçani le 04/10/2012, avec l’intervention de Maître Cédric Cabanes – avocat spécialisé en droit des successions et héritages à Aix en Provence.


Démembrement favorisé

Néanmoins, même si le contexte s’est durci, toutes les stratégies ou placements utilisés jusque-là ne sont pas remis en cause. “Par exemple, entre conjoints, il est possible de faire jouer certaines clauses de son contrat de mariage. Et la fiscalité des assurances-vie n’a pas encore été touchée. Cela peut être intéressant de vérifier si l’on a atteint ses plafonds de placement en assurance-vie” conseille Christophe Lenne. Du moins pour l’instant : “même les dispositions relatives à l’assurance-vie risquent de changer”, prévient Pascal Renoncet.

Il est très probable, également, que se développe le recours au démembrement. En effet, la pleine propriété d’un bien se compose d’une part de l’usufruit – c’est-à-dire du droit d’en jouir, le vendre, le louer, l’utiliser… – et d’autre part de la nue-propriété, qui est le droit d’en devenir plein propriétaire à l’extinction de l’usufruit. La loi offre la possibilité de démembrer ces deux composantes de la pleine propriété. Chacune des composantes sera alors valorisée en fonction de règles de calculs établies par le Code civil, en fonction de critères tels que l’âge de l’usufruitier.

Or, comme bien évidemment, la valeur de la nue-propriété d’un bien est inférieure à la valeur de sa pleine propriété, il peut être intéressant de démembrer un bien pour passer en dessous du plafond d’exonération de donation par enfant, et ainsi donner en franchise d’impôt la nue-propriété à son enfant tout en gardant l’usufruit. La pleine propriété se reconstituera pour l’enfant au décès du parent usufruitier, sans qu’il n’ait à payer de droit de succession (à condition, bien sûr, que le décès n’intervienne pas avant le terme du délai de purge fiscale). Alors qu’en transmettant la pleine propriété en une fois lors de la succession, l’héritage aurait pu être soumis à l’impôt.


Stratégies au cas par cas

Mais quelle que soit la stratégie choisie, il est important qu’elle soit mûrement réfléchie. “En cas de changement de sa situation personnelle, il est très difficile de revenir en arrière sur une décision de donation. Légalement d’une part, mais aussi parce qu’il n’est pas certain que le bénéficiaire le veuille : il y a souvent une belle-fille ou un gendre pour l’en dissuader. C’est pourquoi il faut être sûr de ne pas avoir besoin des biens dont on se sépare en donation, prévient Cédric Cabanes. Les stratégies de transmission de patrimoine ne doivent pas être uniquement fondées sur les évolutions des règles fiscales, mais vraiment au cas par cas, en fonction de sa situation propre.”

Car, au-delà des réformes fiscales, certaines tendances, telles que l’augmentation des divorces à un âge mûr, ou l’allongement de la durée de vie couplé avec la fragilité du régime des retraites, accroissent les besoins en patrimoine des contribuables. Ainsi, “imaginons des parents, bien installés, propriétaires d’un bien immobilier. Ils peuvent décider d’en garder l’usufruit et d’en donner la nue-propriété à leurs enfants pour bénéficier d’un abattement. Mais s’ils doivent se reloger, par exemple dans le cadre d’un divorce, ils devront faire face à des besoins financiers qu’ils n’avaient pas prévus. Or, ils ne disposent plus que de l’usufruit de leur bien, soit moins de la moitié de sa valeur. Cela peut vite se transformer en drame financier”, explique Cédric Cabanes. Certaines dispositions prises lors de la donation peuvent néanmoins les protéger.

“Si l’on opte pour le démembrement d’un bien, il peut être utile de prévoir, avec l’usufruitier, l’obligation de remploi des fonds en cas d’aliénation ou de vente du bien, c’est-à-dire que le nu-propriétaire bénéficiaire de la donation s’engage à acquérir en démembrement un nouveau bien avec l’usufruitier”, conseille Yann Poac, associé fondateur du cabinet Hipparque patrimoine, conseil en gestion de patrimoine. De même, avant d’effectuer des donations, il est important de s’assurer que l’on disposera du patrimoine nécessaire pour assurer sa retraite ou les imprévus. “Le bilan patrimonial permet d’effectuer un état des lieux du patrimoine, de comprendre ce dont on dispose, ce que l’on garde, ce que l’on donne, à qui, quand et sous quelle forme. C’est une base solide pour mettre en place une stratégie efficace et sans risques”, conclut Cédric Cabanes.

Sans compter les risques de conflits entre héritier au décès du donateur : “Après le décès, la plupart des donations et autres mesures de gratification peuvent être remises en cause lors du règlement de la succession. Lorsque l’on donne il est important également de savoir si la donation est stipulée hors part (ancien préciput) ou en avancement d’hoirie c’est à dire en avance sur la part de réserve dont le montant reste à déterminer … et ce quelque soit le montant des abattements”, ajoute ce dernier.


Transmission de patrimoine professionnel

Si elle n’est pas préparée, la transmission du patrimoine professionnel peut donner lieu à une très forte taxation. Mais heureusement, il existe plusieurs dispositions permettant d’alléger la fiscalité. La principale d’entre elles est le pacte Dutreil, qui a ensuite été modifié par la loi Jacob en faveur des PME en 2005. “En effet, les successions sont souvent génératrices de cessions d’actifs. Notamment parce que les héritiers ne sont pas forcément issus de la même formation ou du même métier que le chef d’entreprise. Et cela peut conduire à une mise en danger des emplois. C’est pour anticiper ces effets, et favoriser la protection des emplois, que le pacte Dutreil a été mis en place” explique Yann Poac, associé fondateur du cabinet Hipparque patrimoine, conseil en gestion de patrimoine. Concrètement, le pacte Dutreil permet de bénéficier d’une exonération à hauteur de 75 % de la valeur de l’entreprise… à condition de respecter un certain nombre de critères. La première chose est de signer un engagement collectif de conservation de 2 ans, reconductible par tacite reconduction, portant sur au moins 34 % des parts si la société n’est pas cotée, et 20 % si elle l’est.

Seules les parts comprises dans le pacte de conservation peuvent bénéficier de l’exonération. Dans un second temps, les donataires ou héritiers doivent à leur tour prendre un engagement individuel de conservation pour 4 ans, dont le point de départ est constitué au terme de l’engagement collectif. “Une autre condition est que l’entreprise doit être dirigée par l’un des signataires pendant au moins 5 ans, c’est-à-dire la durée de l’engagement collectif, et au moins 3 ans après la transmission. Mais cette condition est parfois difficile à remplir, surtout si aucun des bénéficiaires n’a les compétences adéquates” ajoute Yann Poac. De plus, la loi, qui a évolué depuis, permet également de protéger les chefs d’entreprise n’ayant pas signé d’engagement. En effet, ce dernier peut être réputé acquis si le donateur ou le défunt détenait 34 % (ou 20 %) des parts et a exercé une fonction de direction pendant au moins 2 ans.

“Il a même été mis en place la possibilité de signer un engagement collectif post-mortem : les héritiers ou donataires peuvent en signer un entre eux ou avec d’autres associés jusqu’à 6 mois après le décès du chef d’entreprise”, explique Yann Poac. Mais là encore, il est plus prudent de se faire accompagner par un professionnel. En effet, il existe des formalités administratives annuelles à effectuer, et un certain nombre de dispositions favorables aux transmissions familiales. Et le non-respect de l’engagement de conservation n’est pas sans conséquences.

Si c’est l’engagement collectif qui n’est pas respecté, les héritiers perdent simplement la possibilité de bénéficier du pacte Dutreil (sauf si un nouvel engagement est signé et respecté). En revanche, le non-respect de l’engagement individuel, lui, entraîne la redevance de droits rehaussés d’intérêts de retard de la part des héritiers ou donataires. “Or, l’exigibilité est immédiate, et cela peut poser problème car cela oblige, si l’on ne dispose pas des fonds nécessaires, qui peuvent être très importants, à vendre dans la précipitation. Ce qui n’est jamais idéal”, prévient Yann Poac.